P'tit bout

Publié le par nincha

 

Il y a parfois des petits riens tombés par terre qu'on appelle  des chutes...
Des p'tits bouts de rien qui, si on les écoute un peu, si on les regarde bien,
peuvent nous rapporter... beaucoup. 


Voici l'histoire de ce p'tit bout là.

 

"Ou là là ! Mais qu’est ce qui m’arrive dit le p’tit bout de papier, tout groggy, en reprenant ses esprits.

— Et làààà !!!! Mais fais attention !!! Je suis là !

— Oh ! Pardon !" dit-il au petit arbrisseau qu’il venait de frôler en atterrissant sur le trottoir. Et tandis qu’il essayait de se relever, il lui raconta son histoire.

Deux minutes avant encore, il se voyait collé au mur avec les autres. Il repensait à Adrien qui le tenait  serré sous son bras peu de temps avant, il était tout heureux de pouvoir participer à la nouvelle décoration de la salle à manger lui aussi, il était fier même que le rouleau dont il était issu, ait été choisi et voilà que maintenant, il était là, tout seul, au milieu d’autres objets, sans comprendre. Il entendait juste Adrien, le père de famille à la fin de la journée, une fois qu'il eut fini  de tapisser la pièce dire : « Voilà c’est terminé ! Une dernière chute et c’est bon. » Et se revoyait tomber par terre juste avant se retrouver là, complètement sonné, jeté comme un malpropre sur ce bout de trottoir,  au milieu d’autres objets dont les gens voulaient se débarrasser.
"Voila"dit-il, "C'est comme cela que je suis devenu une chute, et que j'ai chuté sur toi d'ailleurs, excuse-moi mais, ce n'était de ma faute non plus, on ne m'a pas demandé mon avis, et en même temps que  je te raconte mon histoire,  je commence seulement à reprendre mes esprits, et je me le raconte également à moi-même pour être bien sur que je n'ai pas rêvé."

Il pleuvait très très fort, ce jour-là, comme dans le coeur de p'tit bout, qui ne comprenait rien à ce qu'il venait de lui arriver  et bientôt le vent se leva, un vent si violent qu’il emporta le p’tit bout de papier au milieu d’une de ses grosses bourrasques. Léger comme il était, il n’avait pas la force de résister, alors il s’inclina, se laissant chahuter, bousculer, dominer par la force de ce puissant et gros bonhomme joufflu qui semblait se moquer de lui, et décider de son sort, le vent.

"Oh ! Doucement ! " disait-il de temps en temps mais, il n’était pas très convaincu, et le vent n’entendait rien, toutefois  au bout d’un moment ce dernier commença à faiblir un peu et il déposa p’tit bout sur un nouveau trottoir, mais, illuminé celui-là. P’tit bout se frotta les yeux, et ébloui par les lumières de la ville, se mit à espérer. Et il n’en croyait toujours pas ses yeux quand à l’intérieur d’une vitrine il aperçut plein de rouleaux de papier peint. Il se frotta à nouveau les yeux pour être sûr, cherchant les rouleaux de la même famille que lui, il tendait la tête un peu pour voir mais non, aucun d’entre eux ne lui ressemblait. Têtu, il ne renonçait pourtant pas, et il expliqua son histoire au vendeur. Il  lui demanda :

« Mais est-ce que je peux fait partie d’un catalogue au moins ?  En tant que p’tit bout de papier peint ! Un catalogue pour la vitrine ?

— Mais non je vous dis, vous n’êtes plus à la mode ! ». Répondit celui-ci.

A mode, à la mode… En entendant la réponse du vendeur, une fois ressorti du magasin,  malgré les lumières de la ville, à nouveau le p’tit bout de papier fut triste. Un jour, une semaine peut-être seulement et voilà qu'il n'était plus à la mode.

Alors, il baissa encore les bras, et se laissa emporter par le vent. A l’intérieur d’un tourbillon, il s’envola à nouveau en voltigeant sans  savoir où il allait. Il quitta la ville. Le paysage défilait maintenant devant ses yeux, il allait par mont et par vaux, quand entre deux bourrasques alors que le vent semblait vouloir reprendre des forces, il se retrouva dans la forêt, jeté par terre par celui que l’on nomme parfois le mistral ou la tramontane ... Tout étourdi, il se releva au milieu d’un paysage fait de verdure, de calme, avec juste la lumière du soleil, qui tel un peintre, s’appliquait, au gré des ombres portées des branches d’arbres, au gré des feuilles qui faisaient des pirouettes dans les airs, des pâquerettes, marguerites ou tout autre parterre que le jardinier avait planté là, à recouvrir le sol d’un jolis tapis de dentelle de toutes les couleurs.

Et c’est une petite brise légère maintenant  qui s’amusait avec les feuilles à peine détachées de l'arbre en caracolant dans les airs, juste avant d'apporter leur contribution à la confection du joli tapis doré qui brillait au soleil, en appliquant délicatement  sur le sol leurs petites touches de couleurs.

Les arbres, impassibles, semblaient là depuis la nuit des temps, et en voyant ce joyeux brouhaha visuel P’tit bout recherchant maintenant la complicité de ce vent chahuteur se mit à voler comme les feuilles autour d’un grand arbre quand, au bout d’un moment, celui-ci lui dit :

« Pourquoi est tu si triste ? 

L’arbre devinait tout, rien ne pouvait lui échapper. P’tit bout confia alors sa détresse à ce grand Monsieur, car celui-ci pouvait tout comprendre, avec la connaissance qu’il avait du monde. Il était âgé, avait vu et savait beaucoup de chose.

— Parce que j’ai perdu mon rouleau dit p’tit bout.

— Ton rouleau ! Mais c’est quoi un rouleau ?

— Ben, un rouleau de papier peint ! Je faisais partie d’un rouleau et arrivé à moi, ils ont découpé le papier et ils ont dit qu’il restait une chute. C’était moi la chute. Je suis une chute ! Et je suis tombé par terre brutalement.

Alors l’arbre lui dit : Une chute… Je ne sais pas mais, moi je vois un joli petit morceau de papier de toutes les couleurs.

— Ah bon ! Parce que quand je me suis retrouvé au milieu des poubelles, je ne me trouvais pas très joli. Et l’arbre continua,

— Tu sais d’où vient le papier tel que toi ?
— Ben d’un rouleau !

— Oui mais les rouleaux de papier peint ne poussent pas dans la nature 
 expliqua l’arbre.

— Ah bon !

— Non, mais ils sont fabriqués à partir des arbres comme moi.

— Oh ben ça alors !

— Et puis peut-être que le rouleau auquel tu appartiens a été confectionné grâce à quelqu’un de ma famille ! Et tu parles de mode mais chez les arbres, il n’y a pas de mode. On est toujours à la mode nous ! Il  n’y a pas de vitrine non plus ici, regarde autour de toi, il y a juste  un paysage qui s’étend à l’infini, à perte de vue.  Il est là depuis la nuit des temps, et ce décor là, tout en changeant au fil de saisons, au gré du vent, de la pluie, coloré par la lumière du soleil qui bouge sans arrêt elle aussi, depuis le lever du jour jusqu’à la tombée de la nuit est ici depuis toujours et pour longtemps encore. Et même que c’est à partir de ce décor là que les rouleaux dont tu parles ont été fabriqués. Ici, c’est le vrai décor qui est imprimé sur le rouleau dont tu es issu. Tu es arrivé à la source, à l’origine.

— Alors là ! 

A ces mots P’tit bout se sent léger, aussi léger que l’air, il regarde l’arbre  avec des yeux dans lesquels se reflète la lumière du soleil car  il n’est plus triste du tout. Il a en face de lui un arbre auquel il peut se raccorder désormais comme dans, un arbre généalogique, par exemple, il n’est plus seul.

Il se met alors à voler, à tourbillonner avec le vent, à jouer avec lui, mais cette fois-là, il ne se laisse pas porter simplement, il danse, au gré des facéties du vent, qui lui aussi a repérer son changement d’humeur et l’accompagne maintenant,  avec douceur mais avec une certaine malice aussi, autour de l’arbre tout d’abord et puis, P’tit bout s’éloigne, il prend de l’assurance, quitte la forêt au milieu d’autres feuilles qui l’accompagnent un moment dans ses pérégrinations. Ainsi après la campagne, il aperçoit au loin les lumières de la ville qui lui font de l’œil maintenant. Il entre dans la cité, au milieu des couleurs, des néons qui clignotent, indiquant aux passants les vitrines devant lesquelles ils s’arrêtent pour admirer les étalages. Et à nouveau, p’tit bout se retrouve devant l’une d’elles mais différente de celles d’avant, celles où il recherchait d’autres rouleaux de papier peint comme lui.

Non, dans celle-là, il y a plein d’autres petits bouts de papiers, de toutes les couleurs, de toutes les formes, et beaucoup d’autres choses encore.

 « Tient, il n’y a pas de rouleaux ici, se dit-il rien que des petits  bouts de papier ! »

Et en regardant un peu plus, il voit un homme dans le fond de la boutique qui s’affaire à disposer les petits morceaux de papier sur de la toile. C’est un peintre, qui a ramassé plein d’autres petits bouts de papier comme lui pour en faire une composition, et s’applique tout en les collant à faire de tous ces petits bouts, ramassés au gré du vent, et posés les uns à côté des autres maintenant la plus jolie des compositions qu’on n’ait jamais vues sur un tableau.

L’homme lève la tête et en voyant P’tit bout le regarder faire, à l’extérieur, il s’approche de la vitrine, il contemple P’tit bout.  Puis il sort et dit :

« Tient, tu feras très bien dans ma nouvelle composition toi ! » Le peintre se dit : C’est curieux,  il est venu à domicile celui- là, décidément quand on ne cherche pas, il arrive que parfois, on trouve.

 Ah ! Le hasard ! 

Avec précaution, il  prend le tout petit morceau de papier dans ses mains et l’amène à l’intérieur de l’atelier. Il le colle sur sa toile au milieu des autres. P’tit bout est tout content, tout fier, enfin collé, pas sur un mur, mais sur un tableau qui une fois terminé sera mis en vitrine chez un autre marchand qu’on appelle un galeriste, collé avec d’autres petit bouts, mais pas tous pareils.

P’tit bout ne regarde désormais plus  à l’intérieur comme par le passé, il n’est plus à la recherche, il est passé de l’autre côté de la vitrine maintenant, car  il a trouvé, lui aussi. Il est tout heureux, car il sait. P’tit bout n’est plus à la recherche des rouleaux dont il est issu car il sait que tous au départ, font partie d’un arbre comme dans, un arbre généalogique par exemple. Il n’est plus une chute désormais, mais il fait partie d’un tableau avec d’autres P’tits bouts, pas tous pareils, mais tous savent qu’ils sont issus des arbres, et font partie de la même famille. Et tous ces p’tits bouts forment désormais ensemble la jolie chute de cette histoire.

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